Le monde de la formation professionnelle vit une révolution silencieuse. Une étape très importante vient d’être franchie subrepticement.
Après le transfert de la collecte des contributions formation et apprentissage à la Sécurité Sociale (Urssaf et MSA), après la centralisation par une agence d’Etat du pilotage budgétaire (France Compétence), après la normalisation de l’offre de formation (les opérateurs via Qualiopi, les programmes via le RNCP), nous avions assisté récemment à un trou d’air dans la gouvernance politique du système.
Après une série de rendez-vous, de déclarations, de perspectives envisagées, les partenaires sociaux ont adopté le 15 octobre 2021 un accord paritaire dit « ACNI », dont les observateurs s’accordent à dire qu’il est principalement programmatique et suggestif, il comporte une série de recommandations mais pas beaucoup d’engagements ou de décisions.
Il est donc politiquement très en retrait par rapport aux grands ANI qui ont, depuis 1968, fabriqué notre système de formation professionnelle.
La dernière étape, dans le temps, est l’adoption par France Compétence, le 25 novembre 2021, d’un budget pour 2022 considérable par son ampleur : 13,3 milliards d’euros de dépenses programmées, et aussi par son déficit : 3,75 milliards d’euros de déficit initial affiché.
Ce budget consacre plusieurs ruptures : avec l’équilibre budgétaire d’abord, avec le pilotage autonome de la formation professionnelle des salariés ensuite. Celle-ci est désormais fondue dans un ensemble qui inclut les demandeurs d’emploi (avec le PIC), les travailleurs indépendants (les FAF et le CCCA-BTP), et les actifs en général (avec le CPF).
Une autre rupture est le passage au pilotage budgétaire par affectation de moyens, propre à la sphère publique, au lieu du pilotage par répartition de ressources caractéristique de la gestion paritaire.
Ce budget a été adopté par les administrateurs de France Compétence représentant l’Etat et les personnalités qualifiées, avec abstention ou vote contre de tous les représentants des employeurs et des salariés.
Il s’agit donc clairement d’une rupture historique : le financement de la formation professionnelle dans son ensemble vient d’échapper aux partenaires sociaux au profit de l’Etat.
Qui paye commande…
Ce n’est qu’une demi surprise puisque cette rupture s’inscrit dans un processus historique déjà observé en matière de logement social, de santé au travail, d’assurance maladie et maternité, de protection sociale complémentaire, bientôt sans doute d’assurance retraite ….
Mais cette évolution (l’étatisation de la formation professionnelle) pourrait bien se révéler le prélude d’une autre évolution que d’aucuns appellent de leurs vœux : une réforme en profondeur de l’Education Nationale.
En effet désormais la formation initiale et la formation tout au long de la vie relèvent de la responsabilité de l’Etat, du financement de l’Etat, du contrôle de l’Etat, de l’évaluation de l’Etat.
Dans les deux cas c’est de l’argent public, provenant des impôts, qui est investi sur des priorités déterminées par les organes de l’Etat, en suivant les procédures de l’investissement ou de l’achat public.
Comment ne pas comparer l’efficacité et le cout de deux systèmes qui vont, par exemple, aboutir tous deux à la délivrance de CAP, de Bac Pros, de licences Pros, de Mastères …. Les crédits ECTS sont les mêmes pour tout le monde…
Comment ne pas faire un parallèle entre les évolutions du « marché », dans l’enseignement initial les familles choisissant de plus en plus les structures privées, dans la formation professionnelle l’opérateur public historique perdant de plus en plus sa clientèle d’entreprises…
Alors, bien que les buts de la formation initiale et de la formation permanente soient totalement différents, le fait que l’Etat commande et paye dans les deux cas ne va-t-il pas induire certains rapprochements méthodologiques ? Ne serait-ce qu’en permettant des comparaisons en terme de qualité du service, d’efficience, de rapport cout/bénéfice?
Et dans l’affirmative au bénéfice de qui et au détriment de qui ?
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