Préparer aux métiers en tension et aux filières d’avenir, limiter le « non recours » à la formation, poursuivre la transformation de l’offre (blocs de compétences, hybridation, etc.) : tels sont les enjeux majeurs pour la formation professionnelle continue en Grand Est, d’après le budget primitif 2022 du conseil régional adopté fin janvier. Annonçant plus de 330 M€, l’équipe de Jean Rottner (LR) va élargir le nouveau parcours d’accompagnement en entreprise « Pace » et mettre l’accent sur « les plus éloignés de l’emploi ». Elle s’apprête à signer « une 3e convention » avec l’État dans le cadre du PIC.
Dans un contexte marqué par « des mutations économiques, pédagogiques, sociétales, et aussi des pénuries de compétences et des difficultés de sourcing », l’exécutif régional Grand Est devrait consacrer cette année 331,78 M€ de CP à la formation continue (pour 315,9 M€ au BP précédent, soit +5 %), d’après le BP 2022 adopté lors de la plénière du 27 janvier (1).
« La formation et l’emploi sont des priorités claires de notre mandat », indique Véronique Marchet (Majorité régionale), membre de la commission Formation professionnelle (et son ex-présidente, dans la mandature précédente). « Pour que la relance profite à tous les citoyens et à toutes les entreprises du Grand Est, nous vous proposons aujourd’hui d’adopter un budget ambitieux de 480 M€. » Parallèlement au volet formation continue, la région a en effet inscrit 21,3 M€ de crédits de paiement pour « soutenir et promouvoir l’alternance par la voie d’apprentissage », 122,5 M€ (+6,7 %) pour la formation aux métiers du sanitaire et social, et 5,3 M€ pour « faciliter l’orientation et la promotion des métiers ».
Dans l’objectif de « faciliter l’emploi par la formation professionnelle », l’exécutif régional a défini trois grands axes, avec plusieurs évolutions annoncées :
1. « Une politique au service des métiers en tension et des métiers de demain »
Alors qu' »un grand nombre de métiers sont en forte tension de recrutement » (2), « la région s’est engagée aux côtés de l’État pour piloter une grande mobilisation pour l’emploi à l’échelle régionale et territoriale » (lire sur AEF info), est-il rappelé dans le rapport dédié : concrètement, des task forces locales « copilotées par les sous-préfets et les élus régionaux » à l’échelle des 43 bassins d’emploi « ont engagé dès janvier 2022 un travail de proximité avec les acteurs de l’emploi et de la formation pour « aller au-devant des entreprises et leur proposer un service coordonné ». Pour accompagner la démarche, la région Grand Est met en place un bouquet de services supplémentaire pour « favoriser la qualification des demandeurs d’emploi sur les métiers en tension », conformément au « Plan Emploi Compétences » à hauteur de 18 M€ adopté en décembre (lire sur AEF info).
Par ailleurs, l’offre de formation régionale « doit venir en appui des filières stratégiques d’avenir et des emplois de demain », et ce « dans le sillage de l’acte II du [plan de relance régional] Business Act » annoncé début décembre.
Un « accent tout particulier » sera mis sur trois « filières stratégiques ». Primo, sur les qualifications en lien avec le numérique : si « les achats ont quadruplé depuis 2018 pour s’établir à près de 9 M€ », la région « souhaite maintenir en 2022 cet effort, en l’orientant sur la lutte contre la fracture numérique et en comblant le déficit de ressources en personnel. Elle poursuivra aussi son soutien à des écoles de codage proposant des modalités « adaptées à une grande diversité de profils (écoles Simplon, École 42 à Mulhouse et Metz Numeric School) ».
Deuxio, les enjeux de « l’industrie 5.0 » conduisent « à un fort besoin d’adaptation des compétences ». L’attention sera notamment portée au secteur automobile, « dans le cadre d’une gestion prévisionnelle des emplois travaillée avec la filière ». Tertio, il s’agit de répondre aux besoins de la filière de la transition écologique : une étude de l’Ademe Grand Est prévoit une hausse des emplois qui y sont liés de 74 300 en 2016 à 184 800 ETP. « En complément des formations sectorielles », se déploiera « une plate-forme expérimentale proposant 100 modules de formations courtes en ligne » (e-learning) autour de ces trois grandes évolutions.
Souhaitant aussi « investir dans les liens public-privé pour développer l’innovation », la région poursuivra son soutien aux CMQ, dont « la dynamique doit notamment faciliter l’insertion des jeunes dans l’emploi » (11 campus en déploiement). « Elle prolongera, et en lien avec l’État dans le cadre du PIA, son soutien en investissement à des projets expérimentant une nouvelle ingénierie de formation ou une offre innovante, développée par des acteurs privés ».
2. « Renforcer le lien entre formation et entreprises »
S’agissant du PRF (107 M€ de CP inscrits), « l’année 2022 actera le renouvellement de la majorité des actions de formation », et « permettra ainsi d’accélérer le mouvement de transformation de l’offre engagé en 2019 avec l’appui du Pric » (lire sur AEF info), est-il indiqué dans le rapport budgétaire. Plus de 1 000 actions collectives seront programmées, dont près de 40 % à destination des publics pas ou peu qualifiés et 40 % fléchées sur les filières prioritaires. Par ailleurs, une « concertation partenariale » sera menée, en vue de formaliser un nouveau CPRDFOP « au courant de l’année 2022 ».
La région annonce aussi une « amplification du Pace » (Parcours d’acquisition des compétences en entreprise), lancé début 2021 dans le cadre du plan en faveur de l’insertion des jeunes confrontés à la crise (lire sur AEF info). Un budget global de 16 M€ pour 2 000 jeunes est prévu, « en ciblant tout particulièrement les filières d’avenir et les secteurs à fort potentiel de recrutement ».
« Nous en sommes à plus de 1 000 jeunes concernés aujourd’hui », souligne en séance le président du conseil régional Jean Rottner (LR). « C’est une découverte pour beaucoup de chefs d’entreprise, ils l’adoptent assez rapidement. 10 % des jeunes sont engagés avant la fin de leur stage, 50 % rentrent en formation ». « Ces premiers résultats positifs ont entraîné deux évolutions : son ouverture au secteur agricole/horticole/viticole avec l’appui des chambres d’agriculture ; un élargissement aux demandeurs d’emploi de longue durée de plus de 29 ans », précisent les services.
L’accent sera également mis sur « les formations pour les publics, notamment jeunes, les plus éloignés de l’emploi », eu égard au faible niveau de qualification constaté (52 % des demandeurs d’emploi ayant un niveau infra-bac fin 2021, et 15 % aucune qualification du tout). Au-delà d’adapter le programme de formation (autour de la maîtrise des compétences de base, du savoir-être et de la valorisation de soi, etc.), la région compte amplifier son partenariat avec les départements en charge de l’insertion des bénéficiaires du RSA.
Une autre priorité est de « renforcer l’accessibilité de l’offre de formation », alors que près de 40 % des places de formation mises en œuvre l’an dernier n’ont pas été pourvues. Les réponses suivantes seront déployées et renforcées : Pass’mobilité formation pour les jeunes (lire sur AEF info) avec un budget de 10 M€ en AP/AE, mise à disposition de véhicules, développement des formations bac+1 au travers des hubs de compétences portés par le Cnam dans les villes moyennes (lire sur AEF info), démarches d »aller vers’, etc.
3. « Poursuivre la transformation de l’offre de formation »
Par ailleurs, « la région s’est donné une trajectoire pluriannuelle de transformation de l’offre de formation : parcours sur mesure, formations à distance, expérimentations sur de nouvelles modalités de sourcing, etc. », est-il rappelé dans le rapport budgétaire. « Avec l’appui financier du Pacte » régional d’investissement dans les compétences conclu avec l’État (2019-2022, lire sur AEF info), les « axes d’évolution » suivants ont été tracés :
- « acheter moins de ‘diplômes’, mais plus de « blocs de compétences » ;
- développer l’hybridation (ce qui nécessite le développement de lieux ressources ou tiers-lieux dans les territoires) ;
- faire émerger de nouvelles typologies de formations (avec l’intégration de modules de remises à niveau ou de compétences relationnelles, etc.) ;
- renforcer les expérimentations régionales ou locales ;
- proposer un accompagnement (externe) aux organismes de formation (en 2022, à la suite d’un AMI) » ;
« Cette palette de leviers de transformation s’accompagnera en 2022 d’une démarche d’évaluation renforcée, prenant appui sur des évaluations nationales et sur un contrat de recherche orienté sur le devenir des stagiaires, doublés d’une opération de contrôle externalisé », est-il ajouté.
Pour mémoire, la contractualisation pluriannuelle dans le cadre du PIC prévoit une contribution de l’État de 556 M€ sur quatre ans (pour la formation des DE de niveau infra-bac).
Un plan additionnel dédié au public jeunes a donné lieu à une contractualisation en 2021 prolongée en 2022 (lire sur AEF info) dans le cadre du plan gouvernemental « 1 jeune, 1 solution » avec un montant global de 58,8 M€. Un objectif quantitatif de 50 800 entrées en formation avait été fixé (dont 19 500 au titre du socle régional, 26 300 au titre du Pacte et 5 000 au titre du plan additionnel Jeunes). À fin 2021, ont été réalisés 100 % du socle, 84 % des entrées Pacte et 43 % du plan Jeunes, soit 43 754 entrées effectives en formation. « En 2022, une troisième convention sera proposée pour renforcer l’intervention régionale sur les métiers en tension et les DE de longue durée, avec une prévision d’engagement de l’État de 24,8 M€ (lire sur AEF info) ».
CESER : DAVANTAGE DE « COORDINATION »
La deuxième chambre régionale a émis une série de recommandations sur le premier BP de la mandature, dans un avis du 20 janvier. « [Si] de nombreuses offres sont en ligne, l’élément manquant, c’est l’accompagnement humain », pointe Stéphane Heit (président de la commission FTLV). « Nous préconisons un accompagnement sur l’orientation et la formation au sein même des services de la région ».
Concernant le travail partenarial, « le Ceser préconise une véritable démarche de coordination prenant en compte les initiatives des différents acteurs : Campus connectés, Territoires d’innovation pédagogique, CMQ, etc. », indique-t-il dans cet avis. « La description de situations telles que le non-remplissage des actions […] pose question en termes de communication auprès des prescripteurs, des acteurs de l’insertion sociale et professionnelle, [ainsi] que de recherche de solutions partenariales coordonnées ». « Le Ceser suggère de s’appuyer sur les campus connectés pour promouvoir les dispositifs d’orientation et de formation avec un accompagnement humain, et de rendre plus lisibles et accessibles les nouvelles actions ».
Troisième point, le Ceser considère l’évaluation comme « nécessaire avant toute reconduction des dispositifs de formation professionnelle ».
(1) À hauteur de 3,5 milliards d’euros. Le budget « formation professionnelle » a été approuvé par la Majorité et le groupe « Centristes et territoires ». Se sont abstenus les groupes « RN et apparentés » et « La Gauche solidaire et écologiste », tandis que les Écologistes ont voté « contre ».
(2) En 2021, près de 45 % des projets de recrutement ont été jugés difficiles par les entreprises du Grand Est.